Mark












“L’
historique”


Octobre 2020. République Démocratique du Congo
(ex Zaïre)



« Kabeya trône, au milieu du trafic du boulevard du 30 juin. Il attend de revêtir le Mabele Ya Mboka*. La sculpture est massive, surplombée par de majestueuses ailes de métal forgé. Au signal de Junior Mvunzi, leur créateur, elles se posent sur les épaules luisantes de Kabeya, ouvrant les portes d’un monde irréel. Le défi est de taille. Un défi à la pesanteur, une ode à Kinshasa, sa ville… La chaleur est écrasante, la tâche est rude, mais tout est possible ici. Kabeya le sait. Il pense à ses propres luttes.
La sueur, les poings serrés, les cris de guerre, les regards provocateurs, les insultes, les rires… 
Il a l’habitude. La photo est là.
Un court instant d’éternité, arraché à Kin’ la belle. Je prends le cliché_



C’est là que tout a commencé.
Dans un atelier  d’artistes, à deux enjambées de la morgue, coincée entre une rivière aux parfums d’égouts et des terrains vagues que je rencontre le collectif d’artistes. L’un d’eux me file un tabouret, une mélodie venant d’étranges instruments faits d’objets recyclés me captive. Leurs œuvres me transporte, fusionnent avec mes rêves, mes aspirations, mon art, mon histoire.
Mes tripes.
Dans la chaleur, le dénuement, défiant les humeurs de la mort et des immondices, ils créent, ils transcendent, ils visent l’immortalité.


Kinshasa, Zaïre. Future République Démocratique du Congo, 1987

J’ai 6 ans. Je vis dans une ville bouillonnante et chaotique. On l’appelle Kin’La Belle, mon oncle Guy a d’autres mots.
« Poto ya Batu Moindo / l’Europe des Noirs.
Kinshasa, c’est l’ambiance, c’est la joie… Tous les villageois voulaient venir à Kinshasa! », les oreilles collés à leurs radios, s’enivrant de mélodies envoûtantes. Un discours comme un écho aux premières scènes de la Vie est Belle. En 1987, le long métrage du mythique chanteur Papa Wemba inonde les écrans du pays. Et magnifie cet eldorado kinois dont rêvent tant et tant de citoyens. 




“ Travaillez prenez de la peine!
C'est le fonds qui manque le moins,

Na beta limbanga po te nazwa mosolo,
Na motoki nayo nde ozui lifuta...” -
                                      /
»,


chante Nkuru, le héros du film incarné par Papa Wemba lui même.
L’artiste ne prête pas seulement ses traits au personnage principal. Il se fond en lui, se retrouve en son odyssée, et incarne l’espoir de la jeunesse congolaise d’une vie meilleure, entre fortune, gloire et rumba.
L’Article 15, “Débrouillez-vous” est né.
Une ode à la débrouille et à la survie qui deviendra une véritable Mythologie Congolaise toutes générations confondues.
C’est un peu plus tard, au moment où moi aussi  je commence à caresser des rêves ambitieux que je découvre ce film qui marquera à jamais mon enfance… C’est l’époque où mon père m’encourage dans la peinture, soutient mes aspirations à la créativité et autorise même mes rêves d’artiste d’éclore… dans une société où la place de la femme est naturellement derrière un mortier et un pillon plutôt qu’un chevalet.  

Avec le temps, c’est un sentiment diffus, contrasté, amer mélange de nostalgie et de mélancolie qui m’envahit. «Kin’ la belle» n’est plus, malgré son succès, la vie a continué, le film longtemps oublié, la malédiction du Zaïre est devenue celle du Congo. Il y a eu les pillages, les viols, les guerres... Mais ni le bruit des armes, ni le claquement des bottes, ni les explosions des bombardements n’ont pu dissiper dans l’air de Kinshasa la musique qui a continué de flotter. Et avec elle, les rêves, plus forts que jamais, cette fièvre toujours présente dans les coins les plus désespérés de la ville et de nos esprits…

Le même message, le même espoir inscrit, déjà dans le film « La vie est Belle », je le ressens au moment de cette rencontre avec Junior et ses acolytes.
Parce qu’ils ont entendu cette promesse, ce cri d’espoir, comme moi, des décennies plus tôt, comme cette petite fille devenue une femme, une mère, une artiste. « La Vie est Belle », renaît alors de ses cendres sous forme de Poème visuel, d’appel à la revolte. Plus que l’histoire d’une ville, de ses traditions ancrées et ses codes invisibles, c’est un hommage à la force du Congolais et à son incommensurable capacité à rire de sa destinée et de la supposée malédiction qui frappe sa terre pour dépasser et sublimer sa réalité.

C’est là que tout a commencé, assise sur ce tabouret, à la vue de ces masques contemporains constellés de matériaux de récupération. De ces vieux micro-processeurs, téléphones, câbles etc, représentation d’une nouvelle identité congolaise et leur message propre. 

-“Nos ressources sont pillés pour que d’autres - pays, entreprises, citoyens du monde - créent des produits de première technologie et souvent nous les revendre  avant qu’ils deviennent obsolètes ou défectueux, et nous les laissent comme à un dépotoir.”- 


Ni dupes, ni résignés. Même avec des déchets, simples résidus de nos richesses volées, nous pouvons être grands, beaux, magnifiques. Parce que « La Vie est belle ». Et que cette ode, cette foi, n’a pas de limite. Que notre terre, notre inspiration se veut éternelle. 
 

“The
Origins”


October 202o,
DRCongo (ex Zaïre)_


« Kabeya is staring in the middle of the Boulevard du 30 juin. He’s waiting to be enthroned carrying the large winged armor made of steel by his creator, Junior Mvunzi. For me it’s surreal. I find myself  in Kinshasa, where I grew up, about to capture  a moment on the city’s most mythical boulevard. The heat is overwhelming but carrying a sculpture like this is a challenge and an honor. The hardship, the pain, the sweat, the clenched fists… Kabeya knows them only too well. He knows where it hurts. Besides, everything is possible here in Kinshasa. And you’re never really alone here. Especially with the  « MABELE YA MBOKA »* on your shoulders.

The picture was right there in front of me. A short moment of eternity, snatched from Kinshasa, bringing me back to when we called Kin "La Belle".
And it all started when I entered their realm, two steps away from the city mortuary, next to a river of waste and electronic trash. A space for artists like me who can and will create with anything  they can find. I entered and while I sat on the chair junior Mvunzi handed me, melodies and beats from recycled instruments reached my ears. I became immersed in my own memories, with something deep inside of me re-awakening. Their transcending art moved me and in that moment fused with my own story.


Kinshasa, Zaïre. Future RDCongo, 1987_


I am a happy little girl living in this electric and chaotic City. They call it Kin´La Belle, my uncle has other words for it . “ Kinshasa was ‘Poto ya Batu Moindo’ / The Black man’s Little Europe. Everybody wanted to come to here, especially the villagers…” - Everyday listening to enchanting melodies coming from the city, daydreaming, ear pressed to a radio -

My uncle’s Words echo to the first scenes of the movie that was on every screens across the country in 87; A movie revealing Kinshasa, the African Eldorado for so many, in all its glory. The film was called la Vie est Belle and little did I know, was going to mark my childhood forever.





“ Work, take pains!
It is the capital least likely to default,
Na beta limbanga po te nazwa mosolo, Na motoki nayo nde ozui lifuta...” -
                                        /»,

sings Nkuru, hero of the movie starring young Papa Wemba, in  his career debut. The artist immersed himself in the character. After all, he is playing his own life story. The fable of French poet La Fontaine that he sings so beautifully in the movie reflects his own struggles. « Article 15, Débrouillez-vous » is born. An ode to ingenuity and creativity to survive. He sings his hopes and dreams for a better life. And it soon becomes a Mantra for all the young congolese of his generation. And of the next generation.
I, too, was one of  those young Congolese when I watched it for the first time. With big ambitious dreams, lucky enough to have a father who never dismissed them, but “cursed” in a society where a daughter belongs in the kitchen. A mortar and pestle rather than a painting easel.

I, too, saw a reflection of myself in « La Vie est Belle » as an aspiring artist.
Then there were the endless wars in DRCongo, interrupting this promise of a « beautiful life », killing the dreams, Leaving the country in a devastating State and weakened by the international widespread looting of its mineral wealth. After three decades. « La Vie est Belle » seemed to have died with the Congolese Dream… but throughout the gunshots, the marching troops and bombs, a promise seemed to live on. A symbol to hold on to, to stand by.  It grew and rooted itself deeply…





“La Vie est Belle” was no longer just a movie anymore, it became A Congolese mythology, a human story of eternal Congolese creativity and overcoming adversity. And I remembered that, right there, when Junior gave me a seat at their table. Those modernized African masks they created out of recycled objects were  a contemporary vision of their identity and more:

-« We are Creating something beautiful with products made with resources that were stolen from us in the first place. We are taking our Land Back »-


Hearing those words from Junior was a revelation. A cry of hope burst  from my chest, the same hope that once inspired the little girl I once was before becoming a woman, a mother, an artist.

“La Vie est Belle”, resurrected from oblivion as a photographic tale, a visual manifesto. It was now our story, the children of Congo, raising our fists, a gesture of revolution to reclaim our land with one weapon: Art_